Isabelle Fabre

Isabelle FABLE

Biographie

Isabelle FABLE, auteur(e) prolifique et pourtant peu connue, primée à maintes reprises sans en être pour autant reconnue.

Née Isabelle ACKE, le 31 juillet 1949 à Ixelles, de nationalité belge.

Études classiques (latin-grec)
Histoire de l’Art et Archéologie, mené en parallèle avec l’Étude des Arts primitifs (à l’ULB).
Maman de quatre enfants, mamy de cinq petits-enfants.
Femme au foyer, avec quelques éclipses dans le monde du travail.
L’écriture est son viatique, une autre façon pour elle d’exister.
Auteur(e) de romans, poèmes, nouvelles, contes, textes pour enfants, pièces de théâtre, une adaptation théâtrale de Simenon, quelques essais et textes humoristiques … dont beaucoup inédits, publiés en revue, ou en livres collectifs, suite à des « prix/concours » où elle est souvent primée.

  • Présentation d’auteurs à l’Espace Wallonie (à Bxl) dans le cadre des séances de l’AREAW
  • Création d’articles divers, dossiers d’auteurs, interviews, nombreux comptes rendus de livres (235 à ce jour) pour le Reflets Wallonie-Bruxelles (organe de l’AREAW) ou, pour d’autres revues, comme Francophonie vivante.
  • Collaboration à différentes revues littéraires (poèmes, contes, nouvelles…)
  • Lectrice bénévole hebdomadaire pour le studio d’enregistrement de la Bibliothèque sonore de la Ligue Braille.
  • Aide à l’écriture.
  • Membre de jury de concours.
  • Prix Patrick Virelles en 1994 (conte : La petite sorcière de la colline)
  • Prix de la Ville de Philippeville en 1998 (nouvelle : L’avis du chat)
  • Prix Louis Delattre en 1999  (nouvelle : L’avis du chat)
  • Prix de la Revue générale en 2002  (nouvelle : Et vous encore, mineurs…)
  • Prix du Rotary P.A. Delforges en 2002  (roman : Carambole du diable)
  • Prix de la Ville de Liège (Concours Pyramides) en 2002 (poésie)
  • Prix de Poésie de l’AREW en 2003  (poésie)
  • Prix de la Nouvelle historique à Tournai en 2005  (nouvelle : Drame au château des Dames)
  • Prix du Public pour un poème improvisé à Tournai-la-page en 2005
  • Prix du Parlement francophone bruxellois en 2006  (nouvelle : Étangs noirs)
  • Prix Delaby-Mourmaux en 2008 (recueil de poésie : Femmes en souffrance)
  • Lauréate à la Maison de la Francité en 2015 (Étincelle, dynamite … ou dynamique)
  • Carambole du diable, roman, aux éd. Société des Écrivains (Paris) (Prix du Rotary P.A. Delforges) – 2002
  • Femmes en souffrance, recueil de poèmes, aux éd. Le Coudrier  (Mont-St-Guibert) (Prix Delaby-Mourmaux 2008) – 2007
  • Sur les ailes des lucioles, recueil de haïkus aux éditions du Cygne (Paris) – 2012
  • Quelques fables d’Isabelle Fable, album illustré, aux éd. Les contes CAVA (Liège) + album mixte : imprimé et illustré, avec texte en braille sur les illustrations – 2012
  • École et coquelicots, roman, aux éd. Chloé des Lys – 2012
  • Les voies d’Éros, nouvelle chez Edilivre – 2013
  • Noire ou bleue ? recueil de nouvelles, aux éd. Audace – 2013
  • en collectif : Crimes à la campagne, nouvelles policières – mairie de Chalabre – 2008

Un amour de papier publié dans : Ma plus belle histoire d’amour (Prix organisé et lauréats édités par Belgique Loisirs) – 1992

Et vous encore, mineurs…(Prix de la Revue générale – Duculot) – 2002

 Étangs noirs publié dans : Le pays de mes rêves – Les meilleurs textes du concours 2006 (Prix du Parlement francophone bruxellois – Maison de la Francité) – 2007

 Alarme à l’œil publié dans : A.l.armes  (Prix de la nouvelle policière de la Ville de Liège) – Luce Wilquin – 2007

 A quoi tient le destin ? publié dans : Crimes à la campagne (nouvelles policières – Chalabre, France) – 2008

 L’oiseau-mouche publié dans : Tel l’oiseau bleu à la recherche du bonheur (thème de l’oiseau bleu, Maurice Maeterlinck) Centre culturel de Waterloo – 2010

 Concours de poésie :

 Vincent. De la toile au poème (coffret « Livre d’Or de Vincent Van Gogh, 1890-1990 ») – 1990

 L’âme élimée, Le fusil épaulé, Violée, Polichinelles, Au loquet des prisons, Filles de joie  (Pyramides 2000 et Pyramides 2002)

 Matin mutin, Bal masqué … publié dans : Au jardin des poèmes (La Petite Maison  de Poésie, Paris) – 2002

Participation à diverses Anthologies de poésie en France et en Belgique

A quoi tient le destin ?

 

Je me baladais cet été-là dans le Midi de la France. Temps superbe sous l’incessant chant des cigales. Parfum de poussière et de pins parasols. L’insouciance … Seul occupant de ma 2 CV  branlante, qui me berçait d’un village à l’autre, je choisissais les routes les plus pittoresques et les plus désertes. Décompresser. Diplôme de médecine en poche, je m’offrais quelques jours de vacances. Vivre ma vie, avant de penser à sauver celle des autres.

            Je m’arrêtai derrière une voiture garée sur le bas-côté pour aller satisfaire un de ces  petits besoins qui vous prennent n’importe quand. Et, qui sait, faire un brin de causette avec le quidam qui s’était arrêté là comme moi. J’adore ces rencontres de hasard, fugitives, qui restent gravées dans les mémoires, allez savoir pourquoi. Je m’enfonçai dans le sous-bois en sifflotant.

Tandis que j’arrosais consciencieusement les aiguilles sèches en regardant droit devant moi, il me sembla entendre au-delà du chant des cigales comme un gémissement. Couvert soudain par un bruit de pas précipités, un claquement de portière, un moteur mis en route aussitôt. Démarrage brutal, qui dérangea l’harmonie du lieu. Raté, pour la causette…

Tandis que je me rajustais en cherchant du regard d’invisibles cigales sur les troncs des arbres voisins, j’entendis à nouveau l’étrange plainte. Quel animal pouvait pousser un tel cri ? Intrigué, j’avançai. Prudemment, pour ne pas l’effaroucher.

Et d’un coup, ma vie bascula. Une forme féminine était étendue, recroquevillée, le nez au sol, immobile. Une tache rouge s’élargissait entre ses omoplates sur la robe claire. Mon premier réflexe fut d’appeler un médecin. Mais le médecin, c’était moi ! C’était à moi d’agir. Et il fallait faire vite. Le sang coulait en longs filets se tortillant jusqu’au tapis d’aiguilles roussies.

            Je m’approchai, les mains tremblantes. La forme demeurait terriblement inerte. N’eût été ce râle, on aurait pu la croire morte. Le cœur me bondit dans la poitrine. La voiture ! Le meurtrier venait de sauter dedans pour se sauver et j’étais incapable d’en donner la marque ou le moindre détail. Je maudis ma distraction et m’agenouillai auprès de la malheureuse. J’avais peu d’espoir. L’emplacement de la blessure, l’allure à laquelle la tache s’étendait, l’éloignement de tout centre hospitalier… Tout ce que je pouvais faire, c’est l’aider à mourir. Dernier devoir du médecin, jouer le passeur d’âme… Le plus affreux sans doute.

            Elle redressa la tête, la tourna vers moi et souffla quelque chose que je ne compris pas. Elle était d’une pâleur extrême, ses cheveux lui collaient aux tempes. Ses lèvres momifiées n’arrivaient pas à s’exprimer. Son regard implorait. Si bleu, si perdu. Je me penchai, lui pris la main, presque aussi désemparé qu’elle.

– Qui vous a fait ça ? balbutiai-je. Ne bougez pas surtout.

– Manu…Sauver… bébé…, fit-elle dans un souffle à peine audible.

Femmes en souffrance

trop souvent restent à quai

rêves en rade

toutes voiles allumées…

 

femme qui rouille

et se verrouille

au hamac de ses illusions

amour passé au laminoir

du temps qui passe

et qui repasse

sucre impalpable des secondes

agglutinant la vie

en flocons charbonneux

***

les doux amers de nos émois

perchés sur les montagnes russes

et les casse-tête chinois

passent nos cœurs au bleu de Prusse

femme en cascade

qui décroche

et se fracasse

et se croustille

sur les écueils

et les éclipses

 de la vie

***

harponné

le sourire étriqué d’un bonheur

fugitif

élastique à craquer

écuelle éculée que l’on brise au talon

l’amour se rêve et se décline à deux

et je ne suis plus qu’une

***

bottes

matraque

et coups de trique

sommaire

la voix rauque

et les hommes s’alignent

devant le mur criblé

le fusil épaulé

s’écroulent en silence

et le sable rougi

boit les sanglots meurtris

des mères inutiles

École et coquelicots

 

  1. Labiche se tenait devant eux, droit comme un i, lèvres serrées. D’un geste des deux mains levées à la verticale, il leur fit signe de respecter l’alignement, considéra le rang qui se formait puis, toujours sans prononcer un mot, empoigna l’un ou l’autre des élèves pour le replacer ailleurs, de façon à ce que les enfants soient disposés par ordre de grandeur.

Michel se retrouva au milieu du rang, ni grand ni petit. Tant mieux, il passerait inaperçu. Il serrait son cartable de toile et se mordait les lèvres dans son application à ne pas déplaire au maître. A côté de lui se trouvait le grand Jules. Mal nommé, puisqu’il n’avait pas grandi aussi vite que ses camarades et qu’il se retrouvait aujourd’hui dans la moyenne. Michel lui coula un regard. L’autre le lui rendit, sous ses cheveux de paille raide qui lui tombaient sur les yeux. Michel y lut la même crispation que celle qu’il ressentait.

Labiche tapa dans les mains, deux fois, et le rang se mit en route. Il comptait « une deux, une deux » et l’on savait bien qu’il voulait que son rang marche au pas. Cela ne se fit pas sans mal, sans quelques pas sautés pour rattraper le rythme, mais la classe des grands atteignit le local avec une certaine discipline, à la satisfaction du maître.

            Il ouvrit solennellement la porte et, prenant les élèves un à un par l’épaule, leur attribua à chacun une place. Les plus petits devant, les plus grands derrière. Il claqua dans les mains et leur fit signe de s’asseoir. Puis de se relever. Et de se rasseoir sans bruit, ainsi que le leur intimait un doigt sec posé sur la bouche. Il n’avait toujours pas prononcé un seul mot. Il commença par promener un regard froid sur les élèves, passant systématiquement de l’un à l’autre, comme s’il étudiait chacun d’eux pour s’en faire une opinion préalable. Michel s’efforça de ne pas frémir sous l’examen mais se sentit aussi déprimé que lorsqu’un nuage vient brusquement obscurcir le soleil sur les collines et les couvre d’ombre.

Le maître prit une inspiration, leva les sourcils et dit :

-Messieurs, vous voilà dans la classe des grands. Vous savez que je ne tolère pas l’échec. Je ferai donc tout ce qu’il faut pour que chacun de vous réussisse brillamment et obtienne le certificat d’études primaires. Je considérerais comme un échec personnel l’échec de l’un de vous. Tenez-le vous pour dit.

Les voies d’Éros

            Evelyn était une oie blanche de la plus belle eau, pur produit de ce qui se faisait de mieux dans la première moitié du siècle dernier. Élevée en coquille d’œuf entre milieu bourgeois de bon aloi et institut de nonnettes de qualité, elle ignorait tout de ce qui se passait au coeur intime de la gent masculine.

Éros l’aurait-il oubliée ?

            Les hommes demeuraient pour elle nimbés d’un troublant mystère. De leur précieux appendice, elle ne connaissait que des zizis d’enfants entraperçus et les sexes au repos des statues. Ni frères ni cousins ni copains dans sa classe de filles de Marie, personne pour la mettre au parfum. Une saine curiosité l’avait amenée à chercher des informations pertinentes. Mais ses lectures étant soigneusement filtrées, elle n’avait trouvé d’autres sources que le petit livre vendu au fond de l’église, intitulé Qui me dira la vérité ? Piètre moisson. Celui des filles ne lui avait pas apporté grand-chose. Quant à celui des garçons, il était à peine plus explicite, grand producteur de mots savants mais sans illustration du propos. Elle connaissait la théorie du processus mais n’avait pas percé le sens des mots et n’imaginait pas à quel point ce sexe pouvait être farceur.

            Et voilà qu’un jour, Evelyn tombe amoureuse. En tout bien tout honneur, ainsi que prescrit par son éducation de jeune fille convenable. Quelques sorties, quelques baisers volés, quelques caresses plus furtives qu’osées…  Rien de bien méchant. Et notre Evelyn n’en demandait pas plus, dressée dès l’enfance à se garder blanche oie jusqu’au mariage. La curiosité avait été remisée et elle ne songeait pas à la satisfaire dans l’immédiat. L’amour devait rester théorique jusqu’à l’âge requis…

            Et voilà qu’un autre jour, l’ami aimé doit se faire opérer. Grande inquiétude romantique pendant l’opération, ses pensées sont avec lui sur la table entre les mains du chirurgien et elle n’a qu’une idée, le rejoindre à l’hôpital, lui rendre visite, en tout bien tout honneur, bien entendu, fidèle à sa réputation. Il est très heureux de la voir arriver, de se faire cajoler, embrasser, plaindre et dorloter comme il se doit. Bien sûr, il est couvert d’un drap et ni l’un ni l’autre ne pense à autre chose. Quoique…

            N’a-t-il pas une idée derrière la tête en se plaignant de la voir partir le soir, le laisser sur son lit de douleur toute la nuit ? Et elle ? Quelle folie la pousse à affronter ses parents, à leur téléphoner pour dire qu’elle passera la nuit au chevet de son ami, contrairement à toutes les règles de bienséance et alors que sa propre famille n’en fait pas autant ? Il n’est pas à la mort, n’est-ce pas ? Elle tient bon, elle s’affirme. Lui montrer à quel point elle tient à lui. Etre seuls toute une nuit, même une nuit très sage, c’est si nouveau, c’est si tentant…  Quelle aventure !

Petite fugue en chagrin mineur

            Le train fonce en aveugle, filant vers l’horizon, qui toujours se défile, emportant dans son ventre une pelletée d’inconnus unis pour quelques heures entre Lyon et Paris. Les arbres passent à toute allure, vestiges d’ombres passées avant d’avoir été.

            Vic regarde sans voir et se laisse glisser. Le sort en est jeté. Elle est partie, elle a tout quitté. Fuite en avant sur le toboggan du temps. Pour qui, pour quoi ?

            Recroquevillée pour ne pas réveiller la petite blessure qu’elle abrite au secret de son corps, juste derrière le nombril. Ce nombril… ce lien muté en cicatrice à la naissance. Césure atroce. Mutilation qui l’a livrée au monde il y a quinze ans.

            Et si on ne l’avait pas coupé, ce cordon ? Liée à sa mère pour toujours. Imaginez la chaîne interminable de mère en fille, se perdant dans l’espace du temps depuis que le monde est monde…

             Une gare. Chaque arrêt dérange, rompt le rythme, rompt le rêve. Et toujours la peur de voir surgir la police. Et toujours l’espoir de voir paraître l’amour. Insensé, l’espoir. Et ce silence subit du train qui s’arrête et qui guette. Et tous ces gens qui passent sur le quai, marionnettes furtives lancées vers un but inconnu. Tous ceux qui passent ont un but et tout le monde s’en fout. Les autres sont décor.

Vic ferme les yeux. Le train redémarre et le rêve repart en grinçant. Elle est partie. Devant, rien. Derrière, la famille. La mère, grignotée par la vie. Le père, obèse. Et les deux frères. Le grand, qui joue au chef. Le petit, qui l’assomme d’insolence, lui serinant qu’elle n’est pas une vraie fille, parce qu’elle ne se maquille pas. Derrière surtout, Line, l’amie de coeur, qui se fait appeler Marilyn et marche en regardant ses seins. Line, qui consomme les garçons comme des Kleenex puis vient se consoler chez elle quand elle les a perdus. Line, qu’elle adore comme elle ne croyait pas qu’on puisse aimer quelqu’un. Line, qui la comble. Line, qui la mange.

            Vic soupire. Elle a faim. Elle aurait dû emporter quelque chose à manger. Mais quand on est triste, on ne pense pas à avoir faim. Elle est partie si tôt ce matin, ils dormaient encore. Elle contemple ses cuisses. Son frère l’appelle le montgolfière. Le grand. Méchant par plaisir. Le jour où elle s’était mis en tête de confectionner une escalope cordon bleu, il avait apporté le cordon, déclarant que ce serait la seule chose mangeable. Ils s’étaient battus et le dîner avait brûlé. La mère avait gratté les casseroles, réparé les chemises déchirées puis s’était retirée dans sa chambre. Comment imaginer que cette femme insipide ait pu peindre toutes les toiles qui décorent l’appartement ? Vic ne se souvient pas l’avoir jamais vue un pinceau à la main. Les toiles ? Des vestiges d’un autre âge. Petite, elle avait de l’admiration pour sa mère. Elle aussi voulait peindre. Mais elle a renoncé. A quoi bon, pour tout abandonner au mariage ? La vanité de la vie la serre à la gorge depuis trop longtemps.

Sur les ailes des lucioles

 

poèmes confettis

sur les ailes des lucioles

oscillent jusqu’à nous

 

se prennent aux filets

papillons flous s’allumant

au fanal des mots

 

crisse et court calame

va la plume et vole alors

le poème au vent

 

il plane et se pose

cherche au-delà des murs noirs

les mûres noircies

 

moelleux chat velours

grisant griffes au tronc rugueux

flammes aux prunelles

 

plumes ébouriffées

zinzinule la mésange

sous le houx glacé

 

coucou roux coucou

chasseur sous les frondaisons

chutent plumes en sang

 

chuinte chenille rousse

ondulant parmi les pousses

à l’assaut du ciel

 

larve se rêvant

demoiselle sera peut-être

ou peut-être mouche

 

sur l’humus et mousse

le pied souple et l’œil sauvage

chat se coule en douce

 

l’effraie roule au loin

dans l’effluve bleu des brumes

et son cri se perd

 

cisaillant l’azur

rondinella l’hirondelle

éclair de printemps

 

la vie perle à perle

écoule en colliers légers

rapines et dentelles